- Cyrille, Lionel, si vous deviez résumer le projet Tous les films ont la même fin en un seul mot ?

- Cyrille : seul.

- Lionel : mot. On a perdu, ça fait deux mots.

 

- Ce qui frappe à l'écoute de vos titres, c'est l'incroyable imagination dont vous faites preuve.

Quelles sont vos sources d'inspiration ?

- Lionel : l'impossibilité de formuler une idée par une phrase, les films sublimes et les films ratés,

les histoires entendues ici et là, des trucs vécus ou désirés, les vies dont on effleure la surface, une voix...

- Cyrille : on ne cherche pas à se renouveler à tout prix. Certaines de nos chansons se ressemblent

davantage qu'il n'y paraît. Cela ne nous dérange pas de creuser une même question en l'abordant d'une

manière légèrement ou radicalement différente.

 

- Musicalement, vous explorez toutes les facettes de la musique d'aujourd'hui. C'est un parti pris ?

- Cyrille : toutes les facettes... c'est un peu exagéré ! Disons que les chansons nous mènent un peu où

elles veulent. On initie quelque chose, et puis ça vit, ça se développe, ça prend des virages, ça s'éteint parfois.

On ne cherche pas à créer un univers, à définir un style. Cela se fait, ou ne se fait pas d'ailleurs, essentiellement

 dans le regard de ceux qui écoutent ce qu'on fait.

- Lionel : il existe des artistes formidables dans des domaines très différents. Je suis touché par

des propositions qui peuvent paraître en totale contradiction les unes avec les autres. Je n'établis

pas de frontière entre un dessin, une photo, un texte, une musique. Il s'agit toujours de donner

à voir, à entendre, à ressentir. Trente années d'environnement sonore : nos influences sont là,

nous les avons reçues autant que nous sommes allés les chercher. Il serait stupide de s'interdire

certaines d'entre elles quand elles s'imposent naturellement. 

 

- A ce propos, livrons-nous au petit jeu des influences musicales... Qu'est-ce qui vous a marqué parmi tout ce que

vous avez entendu  au cours de ces trois décennies ?

- Lionel : il serait difficile de faire un tour d'horizon exhaustif ! Citons, pour être bref, Adriano Celentano, Aksak Maboul,

Alain Bashung, Alan Vega, Alèmayèhu Eshèté, Anne Laplantine, Aphex Twin, Arab Strap, Atahualpa Yupanqui,

Barbara, Beck, Belle & Sebastian, Bill Ding, Blur, Bobby Lapointe, Bonnie Prince Billy, Boy George, Burt Bacharach, Cake,

Catpower, Charlie Parker, Chet Baker, Chic, Christophe, Cibo Matto, Daniel Johnston, David Bowie, Day One, Devo,

Dexys Midnight Runners, Diabologum, Dominique A., Dub Narcotic Sound System, Eddie Cochran, Edith Nylon,

Elli et Jacno, Erik Satie, François de Roubaix, Fred Poulet, Gérard Manset,George Harrisson, Georges Brassens, Gonzales, Grandaddy,

Jacques Dutronc, Jad Fair and Daniel Johnston, Jalouxdemonsuccès, James Brown, Jean Bart, Jean-François Coen,

Jean Yanne, Jean-Jacques Perrey, Jean-Louis Murat, Jimi Hendrix, Joe Dassin, John Cage, John Coltrane, John Lee Hooker,

John Lennon, Johnny Guitar Watson, Jon Spencer Blues Explosion, Josquin Després, Julien Baer, Katerine, Kim, King Crimson,

Kraftwerk, Laurie Anderson, Lee Hazlewood and Nancy Sinatra, Léo Ferré, Ludwig van Beethoven, Mathématiques Modernes,

Mathieu Boogaerts, Mendelson, Metric, Michel Polnareff, Miles Davis, Miossec, Miss Kittin, Momus, Musical Youth, Nick Cave, Nick Drake,

Nino Ferrer, Ornette Coleman, Otto, Paul Mc Cartney, Pierre Henry, Pink Floyd, Pixies, PJ Harvey, Polyphonic Size, Prince,

R. Stevie Moore, Raymond Scott, Robert Wyatt, Rodolphe Burger, Sam and Dave, Savel, Scott Walker,

Serge Gainsbourg, Silvain Vanot, Smog, Sonic Youth, Spoon, Sportsguitar, Stella, Stevie Wonder, Stina Nordenstam,

Stock Hausen and Walkman, Taxi Girl, Telex, The Ah Club, The Beach Boys, The Beatles, The Breeders,

The Cure, The Honeymoon Killers, The Kills, The Kinks, The Notwist, The Rentals, The Residents,

The Rolling Stones, The Shaggs, The Velvet Underground, The White Stripes, The Yeah Yeah Yeahs, The Zombies,

Thelonious Monk, Tindersticks, Tom Waits, Tricky, Vic Chesnutt, Yo La Tengo,Ween, X-Ray Pop...

- Cyrille : et puis Ben Folds Five, aussi.

 

- Les textes de vos chansons oscillent entre humour retenu et désespoir optimiste. Comment se passe l'écriture ?

- Lionel : la plupart du temps, les textes existent déjà quand la musique arrive. Une phrase

s'impose, se dégage du tissu des idées qui s'agitent dans la tête, ou bien des conversations,

de la télé, la radio, ou encore dans un livre, un article de journal. Il reste alors à suivre le fil, le tordre, le couper,

le mêler et le démêler... J'aime cette idée que dans le domaine de l'écriture, la matière est immense,

qu'il suffit de se servir et de retravailler le résultat de la cueillette. C'est déjà de la musique,

mais il faut faire coïncider plusieurs rythmes : celui du texte avec lui-même, du texte avec un phrasé personnel,

avec une musique qui viendra peut-être... Certaines personnes trouvent une écriture très vite, très jeune.

Dans mon cas, c'est plutôt une gymnastique, un entraînement de longue haleine. Il me faut écrire

et écrire encore pour ne garder que l'acceptable. C'est une souffrance terrible, une remise

en question de tous les instants, je dois l'avouer. Mais cette gymnastique est dangereuse : les gestes

peuvent devenir mécaniques, gratuits, il faut rester vigilant.

 

- Vous travaillez en duo : un choix ?

- Cyrille : disons plutôt un hasard, celui d'une rencontre... et puis il n'est pas facile d'impliquer

d'autres musiciens dans un projet aussi particulier. Mais il nous arrive de faire appel à des amis musiciens

pour donner plus de densité à certaines chansons.

- Lionel : nous sommes des garçons très timides mais très déterminés : la création à plus de deux se révélerait vite...

cauchemardesque.

 

- Votre réputation sur scène est formidable. C'est un exercice que vous semblez adorer...

- Lionel : Rencontrer ceux et celles qui ont entendu et aimé les chansons sur disque, leur donner

le meilleur de nous-mêmes, faire vivre notre musique, partager un moment unique, une émotion

toujours plus grande, et puis le trac qui pousse à se dépasser, la générosité du public, l'amour

que l'on reçoit par vagues entières, découvrir chaque soir un lieu nouveau, s'y installer, trouver ses marques...

 tout cela nous dégoûte, mais on est obligés de le faire.

 

- Quand on regarde votre parcours, et si l'on écoute attentivement vos chansons, vous semblez

réfractaires à toute idée de compromis, que ce soit dans le domaine artistique ou humain.

Cela peut forcer l'admiration, mais ne craignez-vous pas qu'une partie du public soit heurté

par cette violence qui consiste à ne pas fréquenter les lieux , les émissions, les personnes qu'il faut

fréquenter quand on prétend à une place de choix - celle que vous méritez - sur la scène musicale

française ? Ne redoutez-vous pas qu'un nombre toujours plus grand de personnes se détournent

d'un projet qu'ils trouvent séduisant mais beaucoup trop exigeant ?

- Cyrille et Lionel : Non.